Christophe Smith 


3D OU RELIEF
 

Cela fait trois ans que j’harcèle mes amis des Guignols pour que nous fassions une expérience de tournage en relief. Enfin ils ont accepté, et ont eu la gentillesse de me confier la responsabilité de réaliser le premier sketch des Guignols en 3D. J’espère qu’il y en aura beaucoup d’autre car cette expérience m’a conforté dans la certitude que ce format est l’avenir de la télévision et du cinéma.

Le sketch que je met sur le site n’est hélas visible qu’en anaglyphe (c’est à dire avec les lunette rouge et cyan), mais il a été tourné avec la plus récente technologie, et la projection sur grand écran s’est avéré enthousiasmante.

J’ai ajouté, pour les passionnés, une petite note technique sur cette expérience que j’ai hâte de renouveler.
































Les américains disent 3D, je préfère employer le terme Relief, j'ai l'impression que ça permet d'éviter une confusion avec l'image 3D de synthèse qu'on connait depuis longtemps. Mais bon, chacun fait ce qu'il veut, et, je suis prêt à parier qu'on finira par dire 3D, c'est plus vendeur.



Généralités:


Pour faire simple, le relief ou 3D donc est ce qu'il y a de plus proche du système de vision humain. Ce n'est pas quelque chose de nouveau dans le cinéma qui a connu de nombreuses tentatives avortées dans ce domaine. Il y a, aujourd'hui, une conjonction d'évènements qui laisse à penser que, cette fois, le relief va trouver son créneau. Le numérique y est pour beaucoup dans l'apport technique, il a permis de rendre la vision relief confortable. Au cinéma, le succès en salle de films comme Avatar confirme l'intérêt du public et des distributeurs pour le relief, qui voient aussi un support impossible à pirater. Les fabricants de téléviseurs vont sortent des écrans qui permettent de diffuser le relief. Enfin les chaînes de télévisions s'y intéressent aussi d'autant que le sport en direct et en relief cartonne déjà en salle aux Etats Unis en Angleterre et maintenant en France. Le système de prise de vue relief requiert deux caméras - deux yeux - dont les focales, la mise au point, et le diaphragme sont, sur les systèmes les plus performants, synchronisés pour être parfaitement identiques. Selon les dispositifs, les caméras peuvent être installées dans une configuration côte à côte, ou à 90°, avec un miroir semi réfléchissant. Comme sur un tournage traditionnel, les caméras peuvent être équipées de zoom ou de focales fixes, pourvu que ce soit les mêmes sur les deux caméras.


Aux réglages traditionnels de la prise de vue, il faut en rajouter deux autres spécifiques au relief:


L'entraxe: c'est le réglage de la distance d'écartement entre les deux caméras. En gros,

cela a pour effet de régler l'intensité de la profondeur du relief: plus on écarte les

caméras, plus le relief est profond.


La convergence: Un peu comme deux yeux qui louchent, on panote les caméras l'une vers l'autre et de manière égale. Ceci permet de déterminer la place de la " fenêtre " dans le plan. La " fenêtre " étant l'autre terme nouveau que nous, réalisateurs, devons absolument adopter. La " fenêtre " permet de situer dans l'espace, la position de l'écran de projection. C'est le point ou les deux images se superposent parfaitement dans l'espace. Le réglage de la convergence permet de décider de ce qu'on souhaite mettre en avant de la " fenêtre " et en arrière de celle-ci. En jouant sur la convergence on accentue la présence en avant de l'écran, jusqu'à créer, par exemple, l'effet de jaillissement, c'est à dire le truc qui vous arrive en pleine gueule dans la salle.  Convergence et entraxe sont des paramètres qui représentent un véritable choix de mise en scène.


Il est important de savoir que l'intensité du relief varie selon la taille de l'écran de projection. Donc on ne fera pas tout à fait les mêmes réglages selon que le film tourné est destiné à être projeté sur un petit ou un grand écran. Si il doit fonctionné sur toute taille d'écran, il faudra adopter un réglage médian valable pour les deux formats.


Pour discuter de tous ces réglages, nous avons un nouvel interlocuteur appelé " stéréographe ". J'en parlerai un peu plus bas, mais en gros, c'est avec lui que nous décidons des options de style, d'esthétique de relief, qu'elles soient générales sur l'ensemble du film, ou particulières à chaque plan du film. C'est aussi lui qui nous alerte sur les problèmes que peuvent générer la mise en scène, ou l'éclairage d'une scène. Mais nous ne sommes pas toujours obligé d'en tenir compte, car c'est un technicien qui a une sensibilité, il doit l'adapter aux choix que nous faisons, aux partis pris que nous prenons. C'est donc un personnage important puisqu'il doit traduire techniquement nos choix artistiques; je le compare un peu à un directeur de la photo.


Il faut aussi savoir qu'en projection, comme nous avons affaire à deux images superposées, il y a de chaque côté du cadre une zone à risque qu'on appelle " fenêtre flottante ". Dans cette zone, quand même très étroite, les deux images ne se mélangent pas. Il y a un peu de la vision gauche à qui déborde à gauche de la zone de mélange des deux images et un peu de la vision droite à droite. Si on attire le regard sur cette zone, la vision du spectateur sera troublé en raison même du système de projection en relief qui occulte alternativement un oeil. Il faut donc éviter d'inciter le spectateur à regarder ces zones. Il y a plein de façons de le faire, on peut faire des entrées/sorties de champs rapides; jouer avec la lumière, atténuer le relief à un moment précis. On peut aussi, en post-production, faire un léger vignettage en assombrissant ces zones, ainsi on masque en quelque sorte le problème.


Enfin, je rappelle qu'on ne regarde plus le relief avec des lunettes bicolore, on le regarde avec des lunettes polarisantes, passives ou actives, selon le système de projection. Les projections active étant les plus performantes en terme de qualité.



Tournage:


En tournage, nous avons donc deux caméras installées sur un " rig ", elles tournent synchrone et leur bonne synchronisation est fondamentale pour une post production agréable. Chaque caméra est enregistré indépendamment.


Les deux dispositifs de prise de vue (caméras côte à côte, ou à 90° avec un miroir semi-réfléchissant) ont des avantages et des inconvénients. Le système  des caméras à 90° avec un miroir semi réfléchissant, avec lequel j'ai tourné, est le plus performant à l'heure actuelle. Il a pour qualité principale de permettre de faire un relief très fin en réduisant au minimum l'entraxe, puisqu'on n'est pas gêné par l'épaisseur du corps des caméras qui bloque le rapprochement de celles-ci lorsqu'elles sont côte à côte. Il a néanmoins deux inconvénients:

- Son encombrement en hauteur qui réduit la course des panos haut-bas et qui ne

permet pas de mettre la caméra au sol.

- Le miroir qui complique un peu la tâche du directeur photo. Mais il y a des solutions à ces problèmes et je n'ai pas vraiment souffert de cette contrainte, d'autant qu'on peut, pour des cas exceptionnels, utiliser un rig avec des caméras côte à côte qui a pour inconvénient d'être limité dans l 'écartement minimum des caméras.


Le dispositif relief est plus lourd du fait qu'il y a deux caméras, plus le poids du rig. On peut l'alléger en mettant, comme je l'ai fait des caméras débrochées (le magnétoscopes est déporté). Ainsi il se monte sur le magnum, ou sur des pieds classiques, mais ça multiplie les câbles; je n'ai jamais réussit à compter le nombre de câbles raccordés au système, mais c'était de l'ordre d'une quinzaine.

Cela dit ont est au tout début de la nouvelle ère du relief, les évolutions sont constantes, de nouvelles caméras arrivent et, par exemple, " Binocle ", qui a créé le rig avec lequel j'ai tourné, a mis au point un rig pour steadicam et a fabriquer, depuis le tournage, un autre rig pour porter à l'épaule. En fait, plus on allège les caméras, plus le rig est léger.


Il y a sur le plateau un écran sur lequel on peut vérifier le relief en direct. C'est écran est couplé à un logiciel qui analyse le relief sur différent points de l'image. C'est très technique, il ne faut pas en être trop esclave, ce qui compte c'est ce que l'on a envie de voir.


Le système de prise de vue en relief ralenti le rythme habituel d'un tournage. Le matériel est plus lourd, il y a plus d'intervenants et, à chaque mise en place d'un plan, il nous faut intégrer un paramètre nouveau: le réglage de l'intensité du relief dans le plan. Néanmoins ce réglage est assez rapidement effectué par ce nouveau technicien qu'on appelle le " stéréographe ". Il peut devenir très rapide pour peu qu'on ait défini les options d'intensité de relief en préparation, et qu'on ai un rapport de confiance et une affinité avec le stéréographe. Le plus simple, pour établir un dialogue efficace, c'est de lui dire ou l'on souhaite placer la " fenêtre " dans le plan (exemple:  je  filme 4 personnes en rang, il est possible de fixer la fenêtre à n'importe quel niveau d'un des personnage, ainsi on déterminera le nombre de personnages que l'ont souhaite mettre en avant et en arrière de la " fenêtre "; plus elle sera dans la profondeur, plus il y aura de personnes en avant de l'écran.). Mais il faut aussi prévoir une discussion, en préparation, fondamentale et passionnante pour déterminer le style de relief qu'on souhaite adopter. Je pense que plus l'expérience du réalisateur, et celle du chef opérateur augmentera, plus le matériel va évoluer, plus on va réussir à réduire très sensiblement ce temps de mise en place.


Avec le matériel que j'ai utilisé, il faut un temps assez long de préparation, avant de démarrer le tournage, pour vérifier tous les calages caméras et optiques, mais cette opération ne s'effectue qu'une fois, sauf si on change de support. Quand le tournage est lancé, on peut adopter un assez bon rythme car des choses peuvent se faire simultanément sur le plateau. Bien que nous étions dans une configuration un peu expérimentale, j'ai quand même tourné environ 13 plans par jour. Ce qui signifie qu'on peut malgré tout garder un bon rythme. Il y avait aussi 4 techniciens dédiés au relief sur mon plateau (2 stéréographes, un technicien du relief et un ingénieur vision) . Très vite le nombre diminuera. En tout cas on peut facilement fonctionner avec un seul stéréographe pour peu qu'on ai pris des habitudes de travail. J'estime avoir eu besoin de 20% à 25% de temps supplémentaire pour tourner en relief. Pas seulement à cause du réglage du relief mais aussi parce que le travail de lumière est un peu plus important et la précision de la mise en scène aussi.


En relief, on peut travailler avec n'importe quelle focale. Mais il est clair que les courtes focales sont plus adaptées à ce format, car elles écrasent moins les profondeurs. Le système génère aussi quelques complications pour le directeur de la photo que Gérard Figuerola, qui a travaillé avec moi, a surmonté sans problème. C'est essentiellement à cause du miroir, sur lequel il peut y avoir des réflexions, et qui " pompe " un peu de lumière sur une des caméra. Il faut aussi que le directeur photo adopte une architecture de lumière adapté au relief.


La question du point est aussi à appréhender différemment. Le flou ne pose aucun problème particulier si il est souhaité, mais il faut penser point sur une zone de profondeur plutôt que sur un endroit précis.


Un autre détail dont il faut tenir compte concerne les réflexions, brillances ou flare. Si on souhaite cet effet, il faut toujours vérifier que la brillance en question apparaît bien sur les deux " yeux ", les deux caméras, car si la chose n'apparait que sur un des deux plans il y a une gène de vision dans la lecture en relief. Cela dit, si un éclat ne dure qu'un temps très court (quelques images) et qu'il n'est enregistré que sur un " oeil ", il n'y a pas de problème de gène au final car notre vue n'a pas le temps de l'analyser.



De mon point de vue le relief est assimilable à un nouveau format, on peut se sentir très à l'aise, à l'aise, moyennement à l'aise ou pas du tout. Tout ça est avant tout une question de sensibilité, d'inspiration, car on doit penser relief lorsqu'on découpe et met en scène sont histoire tout comme on pense scope, lorsqu'on tourne avec ce format. A partir de là je crois qu'on peut presque tout faire, tout tenter à condition de se sentir en phase avec ce format, d'autant que la technique va encore progresser et s'améliorer. D'une manière générale, sitôt que j'ai mis ma réflexion en mode relief, je n'ai pas souffert d'un trop gros changement par rapport a mes habitudes de tournage.


Monstre et compagnie

réalisation Christophe Smith

scénario Longuet